Remake
Les ciels nuageux, crépusculaires, orageux, embrumés
de Nicolas Dhervillers
Ces ciels n’étaient qu’un simple élément au « fond » de l’image, un infime détail de la prise de vue, un éventuel point de fuite de la composition. En les prélevant afin de les redessiner à partir d’une feuille blanche (avec pour seule aide quelques pastels et un pantone de couleurs), c’est à une tentative de recréation (soit littéralement un « remake ») mais aussi de réouverture de l’image photographique que se livre Nicolas Dhervillers. L’image est reprise ; l’artiste « en repart » pour créer autre chose. Point de départ d’une nouvelle image, ce morceau de ciel qui constituait la limite ultime de la photographie devient le point nodal de sa continuation. Comme une tension vers l’infini.
Ainsi recommencée (« remade » dira-t-on en l’occurrence) en son point le plus élémentaire (celui-là même qui sur la photographie dont il est issu n’occupait que quelques centimètres), l’image se réinvente. Reprise à la main, à même le papier, elle se réincarne. De ce qui n’était qu’un pur artifice décoratif (que l’on aurait pu croire figé au coin de quelque « scène » -comme un décor, donc) jaillit une matière poudreuse et veloutée, lumineuse et fugace. Matière de l’image, qui en devient simultanément le sujet. Comme une évocation d’absolu.
Tel infini, tel absolu ne sont pas tout-à-fait inconnus à l’œuvre de Nicolas Dhervillers. Ils s’y profilent dans les paysages suspendus et sans âge, convoquant des personnages surgis du passé (d’archives photographiques dans « My Sentimental Archives », de tableaux flamands ou français des XVIIème et XVIIIème siècles dans « Hommages ») en des endroits pourtant bien contemporains (parkings, usines, terrains vagues, chantiers…), de ses précédentes séries. Ils s’y comprennent dans les brumes, les ruines, les landes sur lesquelles son objectif s’est souvent arrêté. Ils s’y saisissent dans ses plus récents transferts et dessins, à travers lesquels l’image tend à quelque sublime dissolution.
Ainsi, dans sa précédente série « Memory Drift » (2016), s’essayait-il à prolonger l’image au-delà de la prise de vue comme moment. En résultaient des encres dont la dilution lente appelait une errance du regard et de l’esprit vers les territoires fantomatiques du presque, en des images qui auraient pu être, loin de l’instant décisif cartier-bressonnien.
Avec « Remake », c’est maintenant l’espace de la prise de vue (capturé et délimité par l’acte photographique) qui est en jeu. Il s’ouvre, se dévoile, se déploie indépendamment du sujet dont il a jusqu’alors été l’atmosphère, l’ornementation. Ces ciels s’épanouissent en des luminosités changeantes, du nuageux au crépusculaire, de l’orageux à l’embrumé.
Une image en engendre une voire plusieurs autres, lesquelles pourraient encore en contenir d’autres -car qu’y a-t-il de plus fractionnable et en même temps de plus régénératif que le ciel qui confond forme et fond, infini où tout s’imagine, se conçoit, se dessine, se perçoit en perpétuelle évolution ? Le motif, la teinte, le détail deviennent, en quelque sorte, autant de « rhizomes » (au sens de Deleuze et Guattari) visuels. Autant de connexions, d’ouvertures vers une image, un monde, un moment autres.
Dès lors, les images altérées et altérantes de « Remake » participeraient-elles d’une tentative de réinvention de l’image photographique ? Le mot ne signifie-t-il pas (en anglais américain, qui devait en nourrir le dérivé cinématographique) « to make anew or in a different form », soit « faire de nouveau ou sous une forme différente»? Car c’est sans doute de cela qu’il s’agit: d’une forme différente, autre elle aussi, de photographie. Continuée, prolongée, maturée, transfigurée. En faisant d’une partie d’une image une autre image, qui loin d’en être la seule dérivation s’en émancipe (tant du point de vue visuel que technique), Nicolas Dhervillers semble toucher à une forme d’alchimie. Celle-là même par laquelle, en jouant avec les images et le réel dont elles sont issues, il réinvente des dimensions, des temporalités. Comme dans Vertigo le personnage de James Stewart réinventait non pas la femme aimée mais le temps de cet amour. Quel meilleur motif qu’un ciel pour toucher à cet aspect quasi démiurgique de l’œuvre d’art ?
Nicolas Valains
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