les Surmas
au sud de l’Éthiopie
par Stephan Gladieu
Les Surmas appelé aussi Suri sont des habitants du sud de l’Éthiopie vivant dans la vallée de l’Omo.
Les Suris pratiquent des modifications corporelles, telles que les peintures rituelles et le port de labrets chez les femmes.
Tout en haut, perdu dans le ciel bleu sombre, se tient Tumu, le dieu suprême, celui dont dépendent les pluies qui, soudain, emplissent le lit asséché des rivières et qui insuffle une vitalité nouvelle aux champs et aux bêtes assoiffées.
Tumu est si loin, si mystérieux : ni chants, ni invocations, ni prières ne lui sont adressés. On ne peut le connaître après la mort, qui est la fin de toutes choses. Pas plus l’islam que le christianisme n’ont de prise sur la vision pragmatique qu’ont de l’existence les Surma. Les ancêtres eux-mêmes restent indifférents au sort des hommes, aussi, si ces derniers se souviennent de leurs entreprises glorieuses, ils ne les vénèrent pas puisqu’ils savent qu’ils doivent se débrouiller seuls chaque jour de leur vie.
Indifférents à toute religion, sans pouvoir politique organisé, ils vivent en autarcie, isolés dans leurs montagnes sauvages couvertes de forêts et de savanes.
Chez les Surma, la beauté physique est de première importance. Tous prennent grand soin de leur aspect extérieur, accordant une place de choix aux peintures corporelles.
Encouragés dès leur plus jeune âge à imiter les adultes, les enfants Surma s’enduisent le corps et le visage de pâtes calcaires diversement pigmentées suivant la roche utilisée, selon des contours d’une extrême fantaisie. Certains motifs font allusion à la nature ou aux animaux : robes des vaches, faciès des singes colobes, pelage des prédateurs… Lorsque plusieurs personnes se peignent de façon identique, cela signifie qu’ils sont liés familialement ou d’amitié. Ces décorations répondent à un code social bien établi, et il existe diverses façons de se peindre selon le but recherché : séduction ou peintures de guerre devant effrayer l’ennemi. La coiffure est un autre élément prépondérant dans la fierté des guerriers Surma. Ils se rasent le crâne avec des lames de rasoir en laissant quelques lignes décoratives.
La largeur du labret donne une estimation de la dot dont aura à s’acquitter tout prétendant. La dot peut représenter jusqu’à une soixantaine de bêtes. Les labrets en bois peuvent être de forme trapézoïdale ou demi sphérique, tandis que ceux en argile seront généralement ronds. En âge de se marier, la jeune fille Surma, après s’être fait percer sa lèvre et extraire des dents de la mâchoire inférieure, mettra tout en œuvre pour distendre cet orifice en y insérant des labrets successifs, de taille toujours croissante. En général, toutes les filles d’une classe d’âge se font inciser en même temps, et lorsque la coupure pratiquée a cicatrisée, le village célèbre cet événement par une fête nommée Zigroo. On y boit le bordray, sorte de boisson fermentée à base de farines de sorgho et de maïs blanc.
Pour les hommes, il est d’usage de procéder à des scarifications sur le torse, le ventre ou les bras, afin de rendre un éloge à leur bravoure. Les cicatrices survenant lors de combats aux bâtons, les Donga, laissent des marques indélébiles relatant les haut faits et le courage démontré.
Le goût des parures s’exacerbe à l’occasion des festivités données lors des récoltes, à la fin de la saison des pluies. C’est la saison de repos consacrée à la séduction et aux mariages. Les hommes y font assaut de force et de virilité, s’affrontant à la perche en duels acharnés sous l’œil des jeunes filles qui, parmi eux, choisissent leur mari.
Les Surma, ont été contraints à cultiver la terre mais il se déclarent fièrement pasteurs. En effet une épidémie de charbon, dans les années soixante-dix, anéantit d’un seul coup tous leurs troupeaux, les réduisant à la misère. S’ils furent obligés de cultiver du sorgho et du maïs pour survivre, ils ne changèrent en rien leur système de valeurs, et continuèrent à considérer les bovins comme symbole de richesse, de noblesse et de statut social.
Le commerce de l’or, qu’ils trouvent en assez grande quantité dans la région, leur permit de reconstituer leur cheptel et de découvrir, à cette occasion, que le métal jaune pouvait aussi servir à se procurer des armes à feu et des munitions au Soudan voisin, perpétuellement en guerre civile. Armés de fusils, comme il leur devint facile de se procurer du bétail ! Les razzias chez les Nyangatom, leurs ennemis de toujours, se firent plus nombreuses. Voici maintenant près d’une vingtaine d’années que les Surma sont en guerre avec ces voisins méridionaux. Attaques et mesures de rétorsion constituent la règle, avec ce que cela suppose de pertes en vies humaines des deux côtés. Parallèlement, le relatif équilibre qui existait avec les Dizi et les autres peuples voisins a basculé, faisant monter à un niveau dangereux les tensions inter-tribales.
L’insécurité de cette région privée de moyens et de communication, a découragé le gouvernement d’y implanter quoi que ce soit. Bien que soumis à l’autorité de l’Etat en principe, les Surma jouissent d’une autonomie politique de fait. Ils ne payent aucun impôt, et s’auto-administrent sans aucune interférence extérieure. En vérité, le territoire surma n’a jamais été vraiment conquis. Annexé à l’empire d’Ethiopie en 1897, il passa sous domination italienne quelques décennies plus tard sans aucun changement. Le régime communiste de Mengistu n’eut pas plus de succès, si bien qu’aujourd’hui encore les villages surma ne sont accessibles qu’après des heures de marche par des sentiers envahis de végétation.
Il n’y a pas de route, pas d’école, pas d’hôpital. Les montagnes comprises entre le cours du Kibish et l’escarpement qui domine la vallée de l’Omo comptent parmi les zones les plus reculées et les plus inaccessibles de tout le continent. Les pluies — près de six cents millimètres par an — tombent au printemps et en été sous forme d’averses violentes. Durant la saison sèche, les températures moyennes ne descendent jamais en-dessous de 33°C et, dans les bas-fonds infestés de mouches tsé-tsé, la chaleur est insupportable.
Tous les villages sont protégés par un système de tours de guets réparties autour des habitations et champs de sorgho ou autres céréales comme le maïs ou le mil. Des gardes armés y scrutent la savane, prêts à déclencher l’alerte à la moindre intrusion d’étrangers. Juste avant la saison des récoltes, les enfants ont la dure tâche de veiller à ce que les oiseaux ou insectes ne dévastent les cultures, sources de survie. Ensuite, ce sont eux ou les femmes qui en journée récolteront les précieuses graines qui ultérieurement seront accommodées de diverses façons.
Les femmes pilent les grains qu’ensuite elles moudront pour en tirer une fine farine. D’autres grains seront mêlés à de l’eau, puis macèreront jusqu’à obtention de délicieuses boissons alcoolisées, épaisses en bouche et rappelant vaguement nos bières locales. Les jeunes Surma se voient confier la garde du petit bétail comme les chèvres, dans l’attente des rites de passage à l’age adulte, qui alors seulement leur permettra de surveiller et de protéger des prédateurs ou tribus voisines les troupeaux de bovins. Les villages sont en général composés d’une trentaine de huttes en toit de chaume, à flanc de colline. Les champs sont disposés au alentours, et une place du village est réservée au rencontres, aux palabres et aux festivités.
Protégés par cet environnement dur et peu accessible, les Surma ont conservé les traditions de leurs ancêtres. Le dernier recensement dénombre environ 20 000 individus, répertoriés sous le nom de Suri et divisés en deux sous-groupes, les Chai et les Tirma. La société surma est basée sur une organisation clanique, elle-même étayée sur le système des classes d’âge. Les tenants d’un même lignage, ou clan, ne sont pas obligés de vivre au même endroit, mais peuvent se déplacer à loisir et choisir le lieu de résidence qui leur convient le mieux, sans pour cela amoindrir la forte solidarité qui les lie et qu’ils manifestent.
Des règles précises président à la distribution des biens successoraux. Les avoirs du défunt sont partagés entre ses fils en lots, dont l’importance tient compte de l’année de naissance des bénéficiaires. Les animaux les plus robustes et les biens les plus précieux, avec en premier lieu les fusils d’assaut, habituellement un kalachnikov ou un M-16, reviennent à l’aîné, les autres héritiers devant se contenter de vieux mousquets et du peu qui reste. Quant aux anciens, les maîtres des rituels, ils jouissent d’un grand respect. On tient compte de leur avis, sans pour autant être contraints de s’y conformer car la liberté individuelle est, chez les Surma, une réalité.
Les Surmas n’ont pas de chefs. Leur système, privé de structure politique centralisée susceptible d’imposer une volonté coercitive, est dit par les ethnologues “acéphale” ou “segmenté”. La famille, avec femmes et enfants, est l’unité basique de leur organisation. Les hommes, généralement polygames, assument les tâches qui leur incombent loin du foyer. Ils défendent leur territoire, s’occupent des troupeaux parqués dans des enceintes construites à proximité des pâturages, parfois situés jusqu’à plus d’une journée de marche du village. La chasse aux petits et aux grands animaux est pour eux une source non négligeable de nourriture, aussi aller braconner jusque dans le Parc National de l’Omo voisin, compte-t-il parmi leurs pratiques habituelles.
Les femmes s’occupent des champs et de tout ce qui se rapporte à la sphère domestique. Elles travaillent le cuir et façonnent de très belles poteries de terre cuite destinées à la cuisine, dont elles vendent le surplus au marché ou qu’elles échangent contre des denrées de première nécessité.
Leur indépendance économique et l’absence de règles morales précises leur laissent une certaine liberté. Le sexe avant le mariage étant pratique courante, les mères apprennent à leurs filles à s’orienter dans leurs affaires amoureuses et quels sont les moyens de contraception les plus efficaces.
Ainsi qu’il en va chez les Mursi, les colliers de verroterie et les bracelets métalliques sont, avec le labret, les objets obligés de la séduction féminine. Façonné dans du bois ou de l’argile, ce plateau est rond ou trapézoïdal, et peut atteindre un diamètre considérable. Avec son labret de balsa et ses oreilles percées, la femme Surma représente une valeur enviable.
Lors du Donga, joute à la perche de bois, les adversaires seront mis face à face, deux par deux. La violence des affrontements contraint les participants à se protéger la tête et les articulations au moyen de fibres végétaux tressés spécialement à cet effet. Les spectateurs se placent tout autour des deux adversaires. Tandis que le vainqueur attend son prochain adversaire, le vaincu sort de l’arène sous les honneurs, car le seul fait de participer est un signe d’honneur et de courage. A la fin il restera le vainqueur final, qui sera porté en triomphe sur une claie de perches. Puis il sera présenté par ses pairs au groupe de jeunes filles à marier qui choisiront entre elles celle qui le demandera en mariage.
Force, adresse et élégance sont de mise, et très souvent ces combats servent de prétexte à régler de vieilles querelles. Après un certain temps, l’excitation due à la vue du sang et à l’alcool absorbé, atteint son paroxysme, et le climat devient souvent électrique ; et le tournoi se termine parfois par des morts. Ces combats entre habitants d’un même village ou de villages alliés, servent d’exutoire à l’agressivité des jeunes hommes des deux premières classes d’âge entre 16 et 32 ans. Lors de ces combats tous les coups sont permis, mais il est interdit de tuer son adversaire. Si par mégarde cela devait arriver, le fautif est banni du village avec toute sa famille. Il devra en outre laisser une jeune fille aux parents de la victime en compensation de la vie prélevée.
Une fois qu’une jeune fille aura choisi son valeureux futur époux, les familles se lanceront alors dans des tractations qui peuvent durer des mois avant de s’accorder sur la date et sur la quantité de bêtes et de fusils de la dot. Les épousailles, qui scellent l’alliance de deux clans, sont célébrées par des chants, des danses et des libations de bière, et elles s’achèvent lorsque la jeune femme pénètre dans sa nouvelle cabane, construite par le mari. Alors, la tiédeur du soir s’étend sur l’univers originel et si fascinant des Surma.
Comme les Massaï et autres peuples pasteurs de l’Est africain, les Surma ont un régime alimentaire adapté aux rudes conditions locales, à base de lait et de sang frais, seules sources de protéines animales. Les bêtes à cornes en effet, leur seule richesse, sont trop précieuses pour être mangées, aussi se contentent-ils de leur prélever périodiquement un peu de sang. Pour cela, ils décochent à bout portant une fine flèche dans la veine jugulaire de l’animal afin de faire couler généreusement le précieux liquide vital.
Un photographe et photojournaliste de premier plan
Stephan Gladieu repousse les limites de la photo documentaire et de reportage pour la faire entrer dans le champ de la fiction et leur conférer une dimension...